On passe devant mille fois sans y prêter attention. Juste une pancarte « Le Grand Rocher » avec un petit dessin pour montrer qu’il y a un pittoresque panorama. Mais bon, la promesse pittoresque, fût-elle panoramique, ne parvient pas à me détourner de la contemplation furtive — furtive parce que je conduis, nous sommes sur la route serpentine de la corniche — de l’immense plage de Saint-Michel en Grève. Bon, je conduis, mais je fais attention, un photographe est capable de regarder le paysage d’un œil, son compteur de vitesse de l’autre, et la route du troisième. Oui, un photographe a au moins trois yeux. D’ailleurs, la plupart du temps je m’arrête pour mieux voir, pour consacrer tous mes yeux au paysage.
Tout ça pour dire qu’un jour, cette pancarte du Grand Rocher m’a tenté. Sans doute ai-je été attiré par l’idée de voir les parapentes à hauteur d’œil ; les parapentes qui profitent du vent de mer pour voler pépères le long des collines qui bordent la baie.
Je me suis donc garé au petit parking proposé. De là, une signalisation très « rando », petits poteaux de bois et table d’orientation explicative au départ, invite à l’ascension. On commence par longer un champ en pente, qui offre à travers les arbres une vue prometteuse. Puis on arrive aux choses sérieuses, grimpette en sous-bois, fougères, escaliers aménagés sur les sentiers.
Tiens, voilà une route. On la traverse, et on reprend la marche dans les bois. Ça grimpe plus sec. On se fait un petit cinéma d’ascension de la roche de Solutré, on aurait dû prendre un bâton de marche, un chapeau à bord et quelques ministres.
On souffle, on ahane, on ressent la côte dans les muscles et dans ses poumons. On rejoint un autre sentier, on se faufile entre les rochers, un petit raidillon, et…
Le paysage coupe le souffle.
Au sens propre.
Enfin, en tout cas, ça fait quelque chose au souffle, qu’on commençait justement à perdre, comme si d’un coup, à la vue de cette immensité, on n’avait plus besoin de respirer. On est au-dessus de tout ça. On surplombe la baie large et profonde, enserrée par les deux énormes pinces du rivage, tout là-bas on en distingue l’ouverture qui donne sur l’infini.
Dire qu’on se sent tout petit serait une banalité, et de plus ce ne serait pas tout à fait juste. On se sent à la fois un géant, un oiseau, on se sent comme un dieu qui contemplerait le monde, qui s’amuserait du temps qui passe. Et on reste, d’ailleurs, on a du mal à quitter ces sommets, on reste à regarder la marée aller et venir, la mer changer de couleur, les nuages grossir puis disparaître, les vagues courir depuis le fond là-bas jusqu’à venir s’anéantir sur le sable, et recommencer.
Quand on va redescendre, on va se sentir autre, guilleret et grave à la fois. On aura vécu hors du temps, au-dessus de tout ça, un morceau de notre esprit sera resté là-haut, on pourra toujours l’invoquer.
Ci-dessous, une vue par temps gris, une vue par beau temps. Ces deux photographies sont cliquables, vous pourrez les agrandir dans la fenêtre Zoomify.
Vous pouvez aussi voir, sur le site Photolegende.com le même endroit par tempête, ou toutes les photos de Saint-Michel en Grève.
Ci-dessous, une vue satellite du Grand Rocher, à Saint-Efflam, sur la corniche entre Saint-Michel-en-Grève et Plestin-les-Grèves, en baie de Lannion, Côtes d’Armor.